vendredi 4 janvier 2008

Casser

Quand j’étais adolescente, on employait le mot « casser » pour annoncer la rupture à son amoureux du moment. On cassait aussi souvent qu’on acceptait de « sortir » avec quelqu’un. Ces relations sans lendemain devenaient, en quelque sorte, un entraînement pour nos relations futures, cette fois-ci plus sérieuses.

La rupture que ma fille est en train de vivre, qu’elle soit définitive ou temporaire, me ramène à certaines expériences pénibles que j’ai vécues au cours de ma vie. Et à la voir ainsi, hésitante, ne sachant pas si elle doit réellement croire que c’est fini ou si elle doit encore espérer, je ne peux m’empêcher de me rappeler que pour moi aussi ça n’avait pas été facile, la première fois.

Aujourd’hui seulement, je sais que quand le moment est réellement venu, la rupture se fait plus facilement. Les déchirements sont, en quelque sorte, un signe que l’amour n’a pas dit son dernier mot. Malheureusement, pour que le lien tienne le coup, il faut une volonté commune. Pour l’instant, je ne sais pas si c’est le cas en ce qui concerne ma fille et son copain.

Il m’arrive parfois de me demander si je suis une mère « normale ». Je suis très attachée à ma fille – je suppose que c’est le cas de la majorité des mères – et je déteste la voir souffrir. Je m’efforce de l’encourager, je tente de l’aider à franchir les étapes, sans chercher à l’influencer dans ses décisions. J’essaie de faire de mon mieux pour atténuer sa peine.

Ma fille est introvertie et se confie rarement. Quelques mots ici et là me laissent entendre qu’elle réaffirme sa position. Elle s’entoure d’amis et sort beaucoup. Le tourbillon dans lequel elle est plongée depuis quelques jours m’étourdit un peu. Littéralement. Mes vertiges ont repris et leur intensité m’inquiète un peu.

Au travail, j’ai retrouvé un patron dont l’état de santé ne s’améliore pas. Il doit subir une opération dans quelques jours et sera absent pour trois semaines. Je devrai tenir la barre comme je l’ai fait à plusieurs reprises dans le passé. Ça ne m’inquiète pas vraiment. Ce qui m’inquiète, c’est lui. (Cesse donc te t’inquiéter pour les autres et pense un peu à toi!) Oui, je sais. Mais je suis en train d’assister à la transformation de cet être autrefois jovial et positif en quelqu’un d’anéanti qui n’a plus aucune envie d’être là. Une sorte de dépression majeure je suppose. Bon, c’est un homme fort, il finira bien par s’en sortir. Au fond, que puis-je faire de plus que de lui insuffler de temps en temps un peu de joie de vivre ?

Au fond, peut-être que ce qui fait de nous, les parents, des personnes différentes, c’est justement le fait que nous pensions plus aux autres qu’à nous-mêmes. Je revois ma mère sacrifier sa portion de viande pour l’ajouter à mon assiette, comme si c’était tout naturel pour elle de se priver alors que son petit oiseau ouvrait grand son bec. Cette image, comme tant d’autres, m’a frappée et m’a permis de comprendre à quel point une mère pouvait s’oublier pour son enfant.
Casser, c’est aussi se séparer de quelqu’un qu’on aime pour voler de ses propres ailes. La première séparation, je l’ai vécue en quittant la maison familiale. Je me souviens très bien des sentiments que j’ai éprouvés lorsque j’ai annoncé à ma mère que j’allais vivre en appartement. J’avais dix-huit ans.

Deux ans plus tard, c’est de mon copain, avec qui je vivais une relation amoureuse depuis quatre ans, que je me séparais. Le choc a été immense, mais nous nous sommes retrouvés quelques mois plus tard pour entreprendre un voyage. Un périple qui a duré un an. Une véritable épreuve pour un couple…

Quelques années ont passé et nous nous sommes séparés pour de bon. Ce fut un long processus qui m’a fait comprendre que je ne savais vraiment pas comment aimer. Je suis restée seule plusieurs années, jusqu’à ce que je rencontre le père de ma fille. La naissance de ma fille m’a plongée dans un tourbillon où je n’ai pas vu le temps passer. Si bien que lorsque je me suis retrouvée à quarante ans, j’ai réalisé que je ne pouvais plus continuer à m’oublier de la sorte. J’avais l’impression que j’allais disparaître.

Au cours de ma séparation, j’ai rencontré mon copain actuel avec qui j’ai entrepris une relation un peu compliquée à ses débuts. Pendant ces années, nous avons beaucoup changé et évolué. C’est le plus beau de cette histoire. Ces changements et cette évolution ne sont pas venus sans heurt. Il y eu, en cours de route, une rupture qui m’a particulièrement mise en état de choc. Cette fois-ci, j’ai plongé en moi-même pour mieux comprendre la souffrance démesurée que j’éprouvais. Ce journal, que j’écris depuis, m’a aidée énormément à reprendre contact avec moi-même.

Aujourd’hui, je suis moins dépendante de l’affection des autres et je souffre moins. Ce mieux-être n’a pas été gagné sans peine. Il me reste maintenant à guider ma fille dans sa vie d’adulte et à me détacher de ce bébé que j’ai vu grandir trop vite. J’y arriverai, comme pour le reste. Sans tout casser.

4 commentaires:

Beo a dit...

Très touchant ce billet Ophélie!

En fait c'est un résumé de LA vie mais il s'agit de la tienne et de celle de ta grande fille.

On a justement tous ces cassures, reprises, questionnements: la différence est la manière dont on aborde le sujet. NOTRE sujet!

Pour te connaître depuis une décennie, je peut dire que ton évolution est vraiment plaisante et agréable à suivre. Ta grande saura suivre ton exemple.

Ophélie a dit...

Merci Beo pour ces encouragements. J'en ai bien besoin. J'ai l'impression de la regarder escalader une montagne sans pouvoir réellement l'aider à grimper. Ce sera sa propre force qui la mènera au sommet. Je prie pour qu'elle y arrive.

Beo a dit...

Je crois qu'elle va bien y arriver moi, avec les cicatrices inhérentes à ce genre d'expériences qui font grandir.

J'avais pas oser souligner dans mon premier commentaire, en réaction à ton: suis-je une mère normale... comment ne peut-on pas être une mère normale quand on fait tout en notre pouvoir pour aider, aimer et accompagner nos enfants: on ne peut qu'être un parent normal. ;)

Ophélie a dit...

Je pense que le fait de n'avoir qu'un seul enfant me rend un peu plus (trop?) mère poule.