Plus je vieillis et plus je m’inquiète. Pas pour moi. Je suis en bonne santé et assez à l’aise financièrement pour ne manquer de rien; j’ai un emploi stable et mes conditions de travail son enviables; ma fille a traversé le pire de l’adolescence et l’avenir s’annonce plus serein. Finalement, mon copain et moi formons un couple uni et nous n’avons plus besoin de nous prouver constamment que nous tenons l’un à l’autre. Nous avançons.
Alors qu’est-ce qui m’inquiète? Ce n’est pas très original, mais je m’inquiète pour la planète. Et plus particulièrement pour ceux qui l’habitent et qui sont en train de perdre la boule. Nous sommes en danger, c’est trop évident pour le nier. Et pourtant, nous baissons les bras et ne savons pas vers qui nous tourner pour être sauvés.
Ce qui m’a le plus frappée en traversant les tumultes de l’adolescence avec ma fille, c’est que je n’avais pas d’arguments pour contrer le pessimisme qui la poussait à afficher des têtes de mort sur les murs et à choisir Marilyn Manson, célèbre pour ses mutilations, comme idole. Lorsque je lui ai demandé pourquoi les jeunes de son âge affichaient des symboles de mort partout – sur leurs vêtements, leurs sacs d’école et tous les accessoires imaginables –, elle m’a répondu sur un ton tout à fait neutre que c’est parce que nous allons tous mourir et que ça fait jaser.
C’est d’autant plus vrai que certains veulent mourir plus vite que d’autres. Dans son entourage, plusieurs jeunes ont fait des tentatives de suicide et l’un d’eux a réussi. Les autres, heureusement, se sont retrouvés à l’hôpital où on les a remis sur pied avec une thérapie et des anti-dépresseurs. Et j’ai honte de dire qu’une mère, que je connais bien, m’a confié qu’elle refusait que sa fille prenne ses médicaments parce que « ça fait engraisser ». Bon, celle-là je l’aurai toujours sur le cœur, parce que c’est insensé.
Nos enfants ne sont pas dupes. Ils ont compris que la planète sur laquelle ils ont été accueillis n’est pas en très bon état. Ils ont aussi compris que ce n’est pas de leur faute, mais que ce sera eux qui devront réparer les conneries de leurs prédécesseurs s’ils veulent survivre. Pire encore, ils réalisent que les vieux, les aînés qu’il faut soi-disant respecter, se foutent carrément de ce qui arrive et continue d’épuiser les ressources de cette planète sans souffrir du moindre sentiment de culpabilité. De toute façon, nous allons tous mourir… La tête de mort, c’est nous qui devrions la porter sur nos t-shirts.
Il n’y a pas que l’environnement qui m’inquiète. Il y a aussi l’attitude des humains qui continuent à se faire la guerre, à tuer, à violer, à semer la peur autour d’eux. Parmi eux, beaucoup sont prêts à mourir avant l’heure. Beaucoup portent sur leur front le signe de la mort.
Qu’avons-nous donc perdu? Je veux bien regarder l’avenir avec un peu d’espoir. Je ne sais pas trop ce qui pourrait me rassurer. Sentir une véritable volonté se manifester à l’échelle mondiale, peut-être. Nous avons tous l’impression que tout se passe au-dessus de nous et que le simple citoyen n’a pas vraiment de pouvoir. C’est ce sentiment d’impuissance qui me laisse perplexe. Je ne sais pas quoi faire. Je ne sais pas ce qui va nous arriver, je ne sais pas comment nous allons nous en sortir.
Malgré ces inquiétudes, la vie continue et les années passent. J’aurai 49 ans demain, et j’espère que je serai entourée de ceux que j’aime pour les célébrer. J’espère que le soleil brillera et que la terre ne tremblera pas. J’invoquerai les dieux pour qu’ils nous protègent et je ferai une offrande pour apaiser leur colère.